5 - Le grand ménage

Le médecin et le psychiatre sont des extras. On ne les voit qu'une fois. 
Une fois chacun, c'est bien. 
Et suffisant. 

En revanche, pendant les dix mois que dure l'agrément, nous allons voir régulièrement l'assistante sociale et la psychologue des services sociaux. 
L'assistante sociale, madame Marvel, s’avère même être une aide précieuse, mais aux premiers entretiens, nous n’en savons encore rien. Elle nous impressionne même un peu.

Ayant besoin de lui poser une question importante afin de préparer notre deuxième entretien, je note sur l’ardoise de la cuisine 

« Urgent : rappeler Madame Marvel ». 

 Comme on ne peut l'appeler que le mercredi, de neuf heures trente à onze heures, si on oublie (ce qui vient tout juste de m'arriver, d'où le message sur l'ardoise), ça reporte la question à la semaine suivante... On est mercredi après-midi. J'ai loupé le créneau du matin d'un p'tit poil.
Je m'installe à mon bureau pour travailler, quand j'entends Julien prendre le téléphone et composer un numéro. 
 ― Oui allô, je voudrais parler à Madame Marvel, s’il vous plaît ! 
 Il a dû oublier qu'elle n'était joignable que le mercredi matin. Je peste aussi parce qu'il pourrait m'attendre pour l'appeler. Mais bon.

― Comment ça, vous n’avez pas de Madame Marvel chez vous ? Mais si, je vous assure ! D'ailleurs, je devais la rappeler en urgence ! 

Je commence à m’inquiéter : Madame Marvel a disparu des services sociaux sans laisser de nouvelles… et en emportant le compte-rendu de notre premier entretien si bien réussi. 
 Julien insiste un peu, mais comme à l'autre bout du fil on ne connaît pas de madame Marvel, il raccroche, étonné. 
― Je ne comprends pas, je devais rappeler en urgence Madame Marvel à la banque, mais ils me disent qu’il n’a jamais existé de Madame Marvel chez eux ! »

Et en effet, puisque Madame Marvel, c’est à la DDASS du Conseil Général qu’elle travaille, pas au Crédit Agricole ! 



Je suis une étourdie. C’est indéniable. Mais j’ai trouvé bien mieux que moi, en la matière ! Est-ce que deux distraits (que certains pourraient dire écervelés) sont aptes à devenir parents ? De bons parents, je veux dire ? A ce moment précis de notre histoire, j’ai comme un doute.


Les entretiens avec les services sociaux se succèdent. Les séances ne sont pas de tout repos, car nous ne réussissons pas à résorber les épisodes violents dans la voiture sur le chemin nous menant au Conseil Général : les entretiens, ça nous met au court bouillon ! Mais l’expérience et la maturité, sans compter un entraînement intensif et une volonté sans faille, nous permettent de tenir le coup. 

Inconsciemment, peut-être par superstition, on ne doit plus oser ne plus se disputer. Ce serait mauvais signe. 




D'autant qu'on s'en sort plutôt bien, des entretiens de la DDASS. 

La psychologue, par exemple. Au début, on se méfie. Un peu à cause du bonobo qui nous a donné une image des psys assez singulière. Mais elle, non, elle ne disparaît pas sous son bureau ni ne nous traite de métèque ou de fromage blanc. 
Un bon point. 
On parle beaucoup, elle ne laisse pas les blancs s'installer, elle nous écoute, nous encourage. Ça détend. On y prendrait presque plaisir. Ce qui fait qu'on est nature, et qu'au final, elle apprécie qu'on montre qui on est vraiment. On prend alors conscience qu'on ne peut pas être de Super-Parents (parce qu'on croyait que c'est ce qu'on attendait de nous !), mais des parents, tout simplement. 

Même si on est rêveurs, même si on se dispute souvent, même si on a un peu d’hypertension (ça reste à prouver) et le dos tordu, oui ! On peut être parents. 



D’ailleurs, la psy trouve que notre réflexion s'est très affinée. Comme quoi, être soi-même, ça paye. 
Cela dit, on évite tout de même de se prendre la grosse tête, un dérapage est si vite arrivé.


La dernière séance avec Madame Marvel mérite – tout comme la première – qu'on s'y attarde un peu. 

Elle doit venir visiter notre maison, afin de juger si elle est adaptée à l’accueil d’un enfant. La visite est prévue en août. Et ce mois d'août, là, c'est la canicule ! 





La veille, ma sœur Caroline et ma mère nous donnent un coup de main pour LE grand ménage : Nous voulons montrer à Madame Marvel combien nous sommes ordonnés et propres, comme doivent l'être tout bons parents. 
Ma mère, assez spécialiste du nettoyage, prend les choses en main et distribue les missions. On balaie on lave on lessive. 
J'y vais même au coton-tige imbibé de javel (même si ça heurte mon côté écolo, mais je ne suis plus à une contradiction près) pour déloger les pâtés noirâtres qui se logent dans les rainures des lavabos. 

Entre deux récurages, Caroline, DJ hors-normes, s'occupe du moral des troupes : Elle nous fait un mix de pop, disco, rock and Reggae à fond. Ca stimule ! Julien nous fait un solo de basse avec le balai, je l'accompagne avec mon coton-tige. 



Puis on trie et range (entendez : on fourre tout en vrac dans les placards). On s'organise, même si c'est tuant : A quatre, ça nous prend la journée, quarante degrés à l’ombre. Ahanant comme des baudets. Suant comme des porcs. La maison n’a jamais été autant briquée. Alors, quand Madame Marvel arrive le lendemain, tout est NI-CKEL ! Il faut adopter au moins une fois dans sa vie pour connaître ce plaisir d’une maison désinfectée comme un bloc opératoire.




Madame Marvel et nous, on est maintenant de vieilles connaissances. Elle, souriante, avenante, nous, décontractés, stupéfaits d’être aussi bien alors que, par la force des choses, nous n’avons pas pu nous adonner à notre rite préféré, à savoir nous disputer comme des chiffonniers dans la voiture. Les discussions sont conviviales, plaisantes, mais un peu dérangées par le passage des automobiles. Ben oui, d'un côté notre maison donne sur le jardin, mais de l'autre, sur la route. Et pour faire courant d'air, parce que la chaleur est intenable, nous avons ouvert toutes les fenêtres (ça dilue aussi les odeurs d'eau de javel). Ouvrir les fenêtres côté rue est une chose que nous faisons rarement, car c'est bien trop bruyant. Du coup, nous n'entendons pas toujours clairement ce que dit Madame Marvel. Ce qui occasionne quelques malentendus. Mais comme elle n'entend pas bien non plus ce que nous disons, c'est kif-kif bourricot. 




On boit comme des trous, aussi, et je me retrouve à aller faire pipi toutes les cinq minutes, laissant Julien tout seul avec Madame Marvel (ce qui ne manque pas de m'inquiéter), donnant à la conversation un caractère haché peu constructif. 

― Ce devait être notre dernier entretien, nous suggère Madame Marvel, mais comme il est un peu... raté, je vous propose de finaliser la procédure par un ultime, dans les locaux du Conseil Général, à l'automne. 

On n'ose pas dire non, même si ça repousse le résultat d'un mois, surtout qu'on est de plus en plus mollasson entre la chaleur et la fatigue du ménage de la veille. 

― Au moins, nous serons au frais, ris-je... (jaune) 

 Et puis, on sait bien que nous touchons au but. L’agrément est là… tout près…

Commentaires

  1. Uhuhu ! Quand les assistantes sociales sont venues chez nous, elles ont à peine visité l'appartement.. enfin, elles ont jeté un oeil car j'étais étonnée qu'elles ne regardent pas si on avait la place pour accueillir un enfant. Elles nous avaient repondu : non mais, ça se voit que c'est bien tenu chez vous. C'est accueillant. Comme vous on avait tout briqué !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ahhh ! Je ne suis pas la seule alors ! Je suis passée pour une foldingo auprès des autres quand j'ai dit qu'il fallait tout récurer :-D

      Supprimer
  2. Pour notre premier agrément, j'avais aussi fait nettoyer certains trucs par ma mère^^

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Laissez-moi un petit commentaire ;-)

Articles les plus consultés