3 - Ca commence fort !
Toute adoption commence par l'agrément qui consiste à vous éplucher, vous décortiquer, vous examiner, vous étudier sous toutes vos coutures. L’agrément, c’est le check-up psychologique et social des postulants à l'adoption.
Ce qui signifie, dans notre cas, qu'après avoir
donné notre sexualité en pâture au Tout-puissant, nous devons à présent laisser
disséquer notre psychisme par d'autres spécialistes.
Nous voulons un enfant, et pour cela, là où il suffit aux autres d'un coup de
rein, nous, nous devons faire nos preuves. Sans compter que cette quête
pourtant légitime envahit notre quotidien de façon obsessionnelle et
dramatique.
Au début, ça me paraît injuste. Et puis, je m'y
fais ; Y’a intérêt, sinon, on ne tient pas la longueur.
Nous nous préparons donc, bon gré mal gré, au décorticage : notre compte
en banque, notre travail, notre vie sociale, notre famille, notre mental, notre
cœur, notre santé.
Derrière un grand bureau très chic, un médecin immense nous toise. Je sens que
Julien se rabougrit ; je me redresse pour créer un juste milieu.
― Commençons par vous, Madame !
― D’accord, réponds-je d’une voix de
fausset que je ne me connaissais pas.
― Vous faites de la tension, d’habitude ?
― Non, jamais !
― Si, vous faites de la tension ! Il va
falloir me surveiller ça.
― Mais non, je vous…
― Il y a de la tension dans votre
famille ?
― Oui, mes deux grands-mères en ont eu dans
leur grand âge (que je n'ai pas encore atteint, notez).
― Eh bien voilà, vous faites de la tension. Je
vous l'annonce.
Le choc !
Il me semblait que, selon l'effet blouse blanche, il était nécessaire de
prendre la tension une deuxième fois. Mais le médecin n'y semble pas disposé.
Je me rhabille, guettant sur moi les signes
d’un éventuel accident vasculaire. Ça me donne des palpitations, du coup !
Au tour de Julien.
Ils vont dans la petite pièce d’auscultation, pendant que je prends mon pouls
pour voir si tout va bien.
Je tends l'oreille.
― Vous avez subi des opérations ?
― Oui, j’ai eu une sérieuse entorse du genou
avec rupture des ligaments croisés, et j’ai déjà été opéré trois fois.
Je maudis Julien et
sa sincérité : qu’est ce qui l’oblige à dévoiler la (longue) liste de ses
maux ?
― Penchez-vous en avant, encore, encore… C’est
tout ce que vous pouvez faire?
― Aïe…
― Allez, un effort !
― ‘Peux pas… (Voix étouffée d'outre-tombe)
― C’est bon, relevez-vous ! Vous avez un
sérieux problème de dos, vous !
― Non, le dos, ça va, c’est mon genou qui…
― Non, vous avez une lordose et une scoliose.
Vous risquez d’avoir de graves problèmes plus tard !
― Aaah ?
Plus un mot.
Je devine mon mari... très légèrement hypocondriaque.
S’imaginer en chaise roulante.
Ils reviennent tous les deux. Julien a une sale tête. Il s’assied délicatement sur sa chaise, le dos tout raide; je reprends en douce mon pouls sous la table.
Le médecin gribouille des phrases sur son papier à en-tête, je tends mon œil de lynx, mais pas trop pour éviter une poussée de tension.
― Où en êtes-vous
de la procédure ?
Je prends l'air
enthousiaste de la fille motivée :
― Au début, mais nous avons déjà fait le
premier entretien !
― Eh bien vous n’êtes pas au bout de vos
peines !
― Ah ? C’est si long que ça ? Dis-je, sourire
au rencard.
― Des années ! Faudra être patient ! Ah ! Au
fait, la sécurité sociale ne prend pas en charge ces certificats ; ce sera
cinquante euros.
Chacun.
Vu le prix, j’espère qu’on est apte au service.
Mais ni Julien ni moi n’osons le demander.
― Au revoir messieurs dames, et… bonne
chance... surtout !
Pas un mot
dans l’escalier ! Ni sur le parking ! Chacun enfermé dans l'angoisse
de la révélation récente de sa pathologie.
Avant de démarrer la voiture, on se regarde. Et
on se lâche. Tout. En vrac. Dans les hoquets d'un monstrueux fou-rire.
Julien en chaise roulante.
Moi avec un triple pontage.
Trop vieux pour adopter !
Ou morts !
Au mieux, ruinés par tout ce qu'on doit débourser pour obtenir les certificats attestant de notre bonne foi, notre bonne moralité...
Et surtout notre bonne santé.
Nous n'avons pas eu droit à ces examens ... tant mieux, ça aurait été compliqué, avec mon coeur mal fabriqué
RépondreSupprimerJe comprends... Tu t'es privée d'un grand moment ! ;-)
SupprimerGrave !! Un examen medical etait ma grosse hantise
Supprimerje comprends !
SupprimerPas de visite non plus et j'oserais dire: tant mieux !!!
RépondreSupprimerAprès coup, ça nous a permis de bien rire ! (et vaut mieux en rire, oui...)
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