7 - Les Organismes Autorisés à l'Adoption

 

― Bon. On a l'agrément. On fait quoi maintenant ?

Julien me regarde bêtement. La question peut paraître étrange, mais franchement, on a tellement trimé pour avoir ce papier, qu'on se sent désœuvré maintenant qu'on l'a en poche.

Voire, on ne sait pas du tout quoi en faire.

― Ils auraient pu prévoir un autre film super 8 pour nous le dire, me répond Julien.

Mais non. Nous sommes livrés à nous-mêmes.

 


Je relis avec attention les documents donnés par les services sociaux, et découvre que pour poursuivre les démarches, on peut s'adresser aux OAA, organismes autorisés à l'adoption.

Il existe en France une trentaine de ces associations, assez méconnues dans l'ensemble, qui s'occupent de faire la transition entre l'adoptant et les administrations des pays où l'adoption est possible.

On est tout content, Julien et moi, que de gentilles organisations se proposent d'intercéder pour nous.

Ces associations, gérées chacune par une minuscule poignée de personnes (qui n'ont jamais adopté), recommandées (enfin, listées) par les services sociaux, paraissent dans un premier temps à l'apprenti-adoptant le moyen incontournable de monter son dossier pour l'adoption internationale.

Elles portent des noms alléchants : Sourire de l'enfant d'Asie, les Amis des Enfants de la Terre, Chemin vers l'Amour, Fondation Enfance et Partage, Espoir du Monde, Accueil-Afrique, Vivre en Famille, Mon Enfant ma Lumière, Viens mon enfant …




Ça pourrait presque paraître ridicule si nous n'étions aussi enthousiastes et pressés de faire la connaissance de tous ces sourires, ces lumières, et ces chemins.

Lassés de faire des démarches et de monter des dossiers, nous décidons de nous en remettre à ces spécialistes aux noms parfumés.

Entraînée depuis quelques mois, reprenant ma plus belle plume (celle qui est emphatique, pontifiante, ampoulée et responsable), je me fends d'une trentaine de lettres de motivation ― car oui, tout le monde nous demande d'être motivés – que nous envoyons (après que j'aie embrassé les enveloppes) à autant d'OAA.

 


Julien et moi, presque sans en discuter, avons choisi l'adoption internationale. Les délais pour avoir un enfant en France sont souvent plus longs que les cinq années de validité de l'agrément.

A trente-neuf ans, nous ne pouvons pas nous permettre de lambiner encore.

On a déjà bien assez traîné comme ça.

Et puis, Julien et moi sommes d'accord : un enfant, c'est un enfant; d'où qu'il vienne, ce sera notre enfant.

 La période qui suit l'envoi des courriers aux OAA est une période... comment dire... calme. Nous attendons les réponses. Qui ne viennent pas.

Pourtant, mes lettres étaient motivées.

Je n'ose les harceler.

Un mois passe. Puis deux.

Alors, je décide de harceler.

Je ressors mes dossiers, relève les coordonnées des trente organismes, et je téléphone.

Pour les vingt premiers organismes que j'appelle, je tombe sur des répondeurs qui me redonnent le nom parfumé et me demandent de rappeler qui le jeudi de 9h45 à 10h30, qui le mardi après-midi de 14h20 à 15h10.

Ça tombe bien, c'est pile dans mes horaires de travail.

J'insiste, et tombe enfin sur un être vivant. Ma correspondante, secrétaire d'une association très connue pour ses actions humanitaires, semble dérangée par mon appel :

― Bonjour Madame, excusez-moi de vous déranger, pardon, je vous appelle suite au courrier que nous vous avons envoyé (pardon) il y a un mois pour un dossier d'adoption.

― Votre nom ?

― Marie et Julien M.
Sa réponse claque comme un coup de fouet :

― Un instant !

Accueil charmant. Ma gorge se noue, comme si j'avais quelque chose à me reprocher.

― Oui, nous avons reçu votre courrier

― Oui ?

― Nous ne pouvons donner suite.

(Merci de ne pas m'avoir prévenue plus tôt)

― Ah ! Et pourquoi?

― A cause de votre âge.

― Pardon ?

― Votre âge, s'agace mon interlocutrice, comme si j'étais demeurée mentale. Vous êtes trop âgés, on ne prend pas les couples trop vieux!

― ….

― Il faut bien déterminer des critères de sélection, l'âge en est un : Trente-neuf ans, c'est trop vieux.
Des critères de sélection... Mais enfin, on ne postule pas pour Miss France !

Sa réponse me laisse sans voix, je ne m'attendais pas à cela et, les larmes aux yeux, je raccroche en trouvant tout de même la force hypocrite de lui lâcher :

― Merci madame, bonne journée (et pardon. Aussi).

Elle ne répond pas : inutile de perdre sa salive avec les vioques un peu demeurés.




Sur les quelques organismes qui ne sont pas sur répondeurs, les réponses sont les mêmes. On m'informe que nous sommes trop âgés, ou que nous ne correspondons pas à leurs critères (Miss France, je vous dis...).

Et puis, finalement, à deux doigts du suicide, j'en dégote une qui veut bien nous faire l'honneur de donner suite à notre courrier.

Soulagement.

Je reprends le sourire, jusqu'au moment où j'entends mon interlocutrice m'annoncer :

― Alors, pour commencer, nous allons établir votre dossier.

― Ah ?

― Ca commencera par une étude de votre cas avec les entretiens. Vous rencontrerez notre médecin, notre psychologue et notre assistante sociale.

― Comment, comment, m'étonne-je non sans raison. Mais nous avons déjà fait toutes ces démarches avec les services sociaux. Preuve à l'appui : je vous envoie tous les rapports illico, ça vous fera gagner du temps !

― Que nenni, objecte-t-elle, c'est la procédure. Il faut tout refaire avec nos propres partenaires.

La procédure...



 Flash : Le Château, de Kafka. J'avais adoré (dans ma jeunesse – Ô combien lointaine, il est vrai), mais ça m'avait bien angoissée, aussi.

Quelques réminiscences m'assaillent.

Elle en profite pour finir d'enfoncer le couteau :

― Mais tout ça, pas avant deux ans, parce qu'il y a la liste d'attente.

J'ai une bouffée de chaleur (l'âge, peut-être ?).

Je fais le compte : Deux ans pour remonter la liste d'attente, plus six à huit mois d'entretiens-qui-ne-font-pas-du-tout-double-emploi, puis, si nous sommes aptes, trois mois de montage de dossier pour le pays de notre choix. Puis, selon le pays, deux ou trois ans d'attente minimum pour que la démarche aboutisse.

Assommée, je remercie froidement cette voix anonyme qui me fait entrevoir la possibilité d'être mère à cinquante ans - ou plus - et je m'effondre en proie à une douleur sauvage.

Les larmes dans la voix, j'appelle Julien, démoralisée. Nous parlons longuement. Je ne suis plus sûre de vouloir être maman... être maman... Le rêve simple de milliards de femmes sur terre.

Pour la première fois, je n'ai plus la pêche, l'envie s'amenuise, étouffée par les critères, les paperasses, les délais, l'incompréhension. Comment une telle envie, comment mon désir d'enfant, si fort, qui nous a fait passer par tant d'épreuves, peut ainsi se rabougrir.

 


Parler avec Julien me fait du bien, mais je sais qu'il est triste, aussi. J'entends malgré tout ses paroles réconfortantes entre mes sanglots. Et sa voix calme me répète, comme à une petite fille blessée, de rappeler madame Marvel pour lui demander son aide.

 

Madame Marvel, qui ne travaille pas au Crédit Agricole, qui nous tacle sans ménagement quand on parle de faire une bonne action en adoptant, qui vient transpirer avec nous lors des canicules.
Madame Marvel, qui nous a fait un excellent rapport social parce qu'elle pense que nous serons de bons parents.

Elle, elle saura, me dit Julien.

Et je crois qu'il a raison.

Bon, d'accord, il faut attendre mercredi entre 9h30 et 11h.

Mais on n'est plus à ça près.

 

Comme toujours, madame Marvel est d'excellent conseil : A peine étonnée des réponses des OAA, elle m'affirme à nouveau que nous sommes et allons être des parents, des bons parents, mais que pour cela, eh oui, nous devons nous accrocher.

Elle nous fait confiance, nous avons prouvé que nous sommes forts. Elle sait que rien n'entachera notre motivation. Et surtout pas les ONP (= organismes aux noms parfumés).

― Laissez tomber les OAA, me dit-elle. De nombreux couples entreprennent leurs démarches en individuel. Il faut vous y mettre. Vous y remettre.

Tout de suite.

― Vous êtes sûrs que ça va marcher ? M'entends-je lui demander d'une petite voix tristoune.

― Oui ! Je vous promets que c'est possible !

 


Ah! Madame Marvel ! Merveilleuse madame Marvel ! Comme je vous ai aimée ce jour-là !

Commentaires

  1. Cela fait tellement du bien de rire ! Bien que, il y a qq années on ne rigolait pas, tt comme vous d'ailleurs.
    Nous, nous avons évité la case OAA. Tout simplement parce que lors des entretiens avec la psy ou même l'assistante sociale, on nous avait dit que nous ne pourrions pas déposer un dossier dans une OAA.
    Pourquoi ? A part, le souci n°1 ( que tu connais ) et notre " grand âge " à nous aussi, nous ne pouvions pas nous tourner vers certains pays. En effet, un père asiatique, une mère européenne, ça limitait les ouvertures ....
    Nous n'avions pas compris. On a du répéter. Pourquoi ? C'est un enfant et nous on se moque qu'il soit bleu, jaune ou vert à pois mauves ???
    Ils ont eu raison de nous en dissuader en fait. Nos adoptions en individuel ont été les plus belles du monde. Longues, très longues, mais belles !

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    1. Oui, et tout ce chemin parcouru nous a menées vers nos enfants, et même chaotique, j'aime ce parcours parce que le cadeau au bout est incroyable de bonheur et de joie !

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  2. C'est tellement fou..pour nous aussi les OAA n'ont pas été possible à cause de nos années de mariage pas assez conséquentes, de nos revenus trop faibles et de mes soucis de santé. Et, toit comme toi, mon mari m'a traîné chez la psy du pôle adoption quand j'avais envie de tout laisser tomber. Elle m'a écouté et reboosté. 2 mois après, nous étions parents.

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  3. J'ai hâte de connaître la suite de vos aventures !

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    1. J'ai eu un petit coup de mou... Mais ça va revenir :-D

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