4 - La danse du bonobo (si, si ! il y a un rapport avec l'adoption)
Nous ne
sommes pas épargnés.
En plus des entretiens avec l’assistante
sociale et la psychologue des services sociaux, il faut rencontrer un
psychiatre, lui aussi choisi sur une liste, comme le médecin…
Ce qui ne présage rien de bon !
Nous
arrivons un mercredi matin devant un centre médical à trente kilomètres de chez
nous, assez bizarrement conçu, des baies vitrées un peu partout, tellement
partout que nous ne trouvons pas la porte.
― Ça commence ! Me dit Julien, de méchante
humeur.
Derrière, un curieux animal hilare aux poils de
la tête en pétard se démène et nous fait des grands signes cabalistiques :
c’est le psychiatre.
Il nous montre la porte en se marrant.
― ça y est, il nous a catalogués comme
inadaptés ! Grogne Julien. Viens, on s’en va !
― Mais non, ne sois pas si négatif. Allez,
courage ! Et puis, c'est plutôt sympa de nous accueillir comme ça.
― En gesticulant comme un singe ?
Il n'a pas tort.
Julien finit par trouver la porte en tâtonnant.
Nous forçant à sourire, nous entrons.
― Venez, venez ! Entrez, c’est par là,
suivez-moi, nous répète le drôle de bestiau qui sautille en riant devant nous.
En effet, il me fait penser à un singe, dans son allure, ses gestes :
longs bras ballants, démarche simiesque, dandinement des épaules, et jusqu’à
son rire qui ressemble à un cri de bonobo ! Je me reprends vite ! Ces
animaux-là, ça te lit dans les pensées en un rien de temps. Faut pas que je me
trahisse, et surtout que je perde de vue mon objectif : avoir mon diplôme
de future mère modèle.
Bien sûr, dans la voiture, nous nous étions
encore disputés, avant de parvenir à mettre au point une stratégie. J'avais
lancé les hostilités.
― Bon, écoute, Julien, c'est important, devant
le psy, il faut absolument qu'on s’écoute parler l’un l’autre.
― Ouais, dans un grand élan de respect mutuel.
Ça va nous changer!
― Ben oui, et puis, on essaie de ne pas
dire de grosses bêtises comme l'autre fois.
Il me lance un œil mauvais. La riposte est immédiate :
― Donc on évite, si jamais par
inadvertance je dis une petite bêtise, de donner à l’autre des coups de pieds
sous la table !
― Oui, mais alors fais attention à ce que tu
dis.
― Ne commence pas à me mettre la pression.
C'est fou, on ne peut pas parler sans que tu dises que je fais toujours tout
mal.
― Arrête ta parano, je n'ai pas dit ça; je dis
juste de faire attention à ce qu'on dit, surtout à un psy ! Et tant
qu'on y est, faut faire attention aux blancs : on ne comble pas à tout prix les
vides laissés par le psy, parce que c’est là qu’on dit n'importe quoi.
Julien marmonne qu'il n'y a pas que lui qui dit
des bêtises pendant les blancs, ce sur quoi il n'a pas tout à fait tort, mais
je me garde bien de l'admettre devant lui...
Nous nous
étions conditionnés et préparés à tout.
Sauf à ça.
Nous voilà assis, Julien et moi côte à côte. Je
note que Julien a légèrement éloigné son fauteuil (et donc ses jambes) du mien.
Je comprends le message.
Le spécialiste, lui, s'installe de l'autre côté de son bureau, toujours secoué
de son balancement et son rire bonobiens.
C'est déstabilisant, et je croise les doigts en espérant réussir à garder mon
sérieux. Mais c'est sans compter sur la suite, car commence alors, avec
l'entretien, un étonnant ballet.
Comment dire ?
Allons au plus simple : Dans
un premier temps, tout en parlant, le psychiatre se vautre sur son bureau, les
bras en croix, le menton posé sur son (notre) dossier. Ensuite, il se laisse glisser
dans son fauteuil, avachi, et se coule progressivement derrière puis sous son
bureau. Puis, avant de disparaître totalement, il se redresse vivement pour
réapparaître soudain.
Coucou me revoilou !
Oui, nous aussi, on n'a pas compris.
D'autant que le rituel se répète sans cesser pendant toute l'heure. En boucle.
« je me vautre - je m’avachis - je disparais – je réapparais »,
« je me vautre - je m’avachis - je disparais – je réapparais ».
Tranquille. Comme si tout cela était normal.
Quand il est à deux doigts de disparaître sous
son bureau, le bas du visage caché par la table, alors que seuls ses yeux
dépassent, son front et sa touffe de cheveux sont animés de tremblements tandis
qu'il parle. On perçoit quelques borborygmes, qu'on a un peu de mal à comprendre,
mais ce n'est pas la préoccupation principale.
La préoccupation principale, c'est de ne pas
rire !
Nous restons concentrés sur notre objectif.
Mais sincèrement, ce n'est pas facile.
Je ne me
souviens plus du contenu de notre entretien. Nous avons beaucoup parlé (surtout
lui), nous avons eu des idées en commun (surtout lui), il a semblé séduit pas
ses propres réflexions que nous approuvions avec enthousiasme, il s’écoutait
beaucoup parler (surtout quand il était sous le bureau puisque nous, on ne
l’entendait plus).
Il était bien franc du goulot aussi, n'hésitant pas à nous dire que oui, on
peut adopter un enfant noir quand on est blanc, « surtout avec votre
allure de métèque à vous, Monsieur ».
Même s'il est très brun et mat, Julien a accusé le coup, mais pas trop :
vu l'enjeu, se faire traiter de métèque par un bonobo, finalement, ce n'est pas
très grave.
D’autant que le psy a ajouté :
― Entre
Madame Fromage Blanc, Monsieur Métèque et bébé noir, vous ferez une belle famille
Benetton !
C'est une façon de voir les choses.
A la fin de l'entretien, toujours hilare et ondulant, il a validé avec exaltation ses propres idées sur l’adoption en nous disant que oui, notre réflexion sur le sujet lui paraissait intéressante.
Puis, il
nous a expliqué qu’il était près de la retraite. Nous avons compati, évitant de
lui signaler qu’il était grand temps !
Là, on n’a pas attendu d’être loin des baies vitrées pour avoir un fou rire : Derrière sa vitre, le bon docteur bonobo agitait les mains pour nous saluer, en riant comme un bienheureux.
Parce que finalement c'était un farfelu bien sympathique, nous avons ri avec lui.
D'autant plus qu'il venait de nous annoncer qu'on était aptes !
C'est une blague ou vraiment vous avez eu droit à ça, Madame Fromage Blanc et Monsieur Métèque ? C'est complètement insensé. Voulu, tu crois ? Pour vous déstabiliser ?
RépondreSupprimerOh non ! Il n'a à aucun moment cherché à nous déstabiliser. Il était juste cash, drôle et bienveillant. Et d'une franchise redoutable. Il nous a raconté des anecdotes, toujours avec la même sincérité, celle de celui qui constate et dit ce qu'il voit. Franchement, j'en garde un très bon souvenir :-)
SupprimerOn n'a pas vu de psychiatre, nous. Décidément, ça n'a rien à voir d'un département à l'autre. Je ne sais pas qu'elle aurait été ma réaction face à cette personne.
RépondreSupprimerNotre procédure date de presque 18 ans ! C'est aussi ça qui a changé…
SupprimerOui, c'est certain que ça à évolué... mais je constate aussi que certains départements sont plus souples que d'autres. On est vraiment tombé sur une équipe super, chez nous.
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