2 - La PMA

 

C’est ainsi que tous les mois pendant huit mois, je me bourre d’hormones, d’échographies, de liquides alcalins et que je fais l’amour comme une automate bovine, sombrant peu à peu dans le désespoir quand tout s’écroule au bout de vingt-huit jours avec ma dentelle utérine. L’exercice est d’autant plus déprimant que mon gynécologue est souvent absent, et comme par hasard, c’est quand mon taux est au plus haut et qu’il me faut son accord pour le déclenchement que lui-même est en salle d’accouchement ou en week-end anticipé. 


Ne voyant toujours rien venir, je prends la décision de changer de médecin, et d’aller voir dans une clinique hautement spécialisée un gynécologue hautement spécialisé lui aussi.

 Nous entrons de plain-pied dans la procréation médicalement assistée... Ce qu'ensuite, en initiés, nous appellerons la PMA, de l'air de ceux qui ont fait les blind-tests !

Un terme poétique, comme tous les actes que cela implique, et qui réduit notre désir d'enfant à un assaut barbare de techniques de pointe dans nos organes (soi-disant) reproducteurs.

Notre nouveau médecin est un homme grisonnant très élégant, condescendant et affable, que je verrais bien s’adonner régulièrement au golf. Comme le précédent.
Chef incontesté d'une clinique dorée, à quatre-vingt euros les dix minutes de consultation, il a toujours au minimum trois heures de retard aux rendez-vous et semble en tirer une certaine gloire.

Mon avenir de mère est entre ses mains. C'est LE tout-puissant.

Nous recommençons les traitements, puissance dix. Plus de piqûres, plus de comprimés, et comme je ne réponds pas bien aux traitements, il charge la mule de plus en plus, me prescrivant des doses massives de gonadotrophine. Rien que le nom, ça fait peur. Moi qui mange bio et me suis toujours méfiée du veau aux hormones, je suis servie.

Le traitement me donne des nausées, des vapeurs, des vertiges et des sautes d'humeur qui entraînent des crises de boulimie... et je commence à collectionner quelques kilos.

Mais enfin, Mâdâââme, vous devriez faire attention à votre poids, les cellules grasses retiennent les œstrogènes! Ça ne me facilite pas la tâche ! 
C'est vrai que moi (en plus de ne pas réussir à avoir un gosse), ça m'amuse de prendre du poids... Mais comme je suis un bon petit soldat, impressionné par le tout-puissant, je réponds en baissant la tête :
― Oui, oui, pardon, je ne le referai plus…
(et de me jeter sur un sandwich beurre-camembert-chocolat en rentrant chez moi pour calmer mon angoisse).


L'autre souci, avec les doses massives d'hormones, c'est que chez moi, ça déclenche mes ovulations plus tôt que ce que ses études de médecine ont appris au docteur. J'ai essayé de le lui expliquer, mais à mon avis, cet homme-là n'a pas dû se rendre compte que, derrière mon ventre, il y a un être humain doué d'intelligence, de sens de l'observation et de sensibilité.

Docteur, il me semble, essayai-je une fois, d'une toute petite voix coupable et chevrotante, enfin, ce n'est pas la première fois que je constate que, si je suis stimulée, mon ovulation se déclenche plus tôt, vers le neuf ou dixième jour, parfois. 

Voyons, mâdâââme, me répond-il sans lever les yeux de mon dossier, me grondant paternellement, basons-nous sur des informations réelles et scientifiques.
Oui, ai-je l'outrecuidance d'insister, insolente que je suis. Mais je vous assure que je la sens, ça tire à droite ou à gauche...

Huhuhu! A droite ou à gauche. Permettez-moi d'en douter. Ce sont vos intestins que vous sentez, Mâdâââme.

Les intestins.
Tous les quatorzièmes jours du cycle depuis la puberté, j'ai les intestins qui défaillent...

Comme nous n’arrivons pas à être en phase, lui avec sa mathématique médicale moi avec ma réalité, on arrive toujours trop tard pour choper l’ovulation. Ne cherchant pas à comprendre ces échecs, il trouve un nouvel accusé :
― Il faut dire, mâdâââme, que trente-huit ans, ce n’est pas tout jeune, vous avouerez !

Trop insolente, trop ronde et trop vieille, il est en train de sentir, le bougre, que je ne vais pas remonter ses statistiques de réussite, et ça lui défrise le fer 7.

Rongée par les échecs, je culpabilise à mort. Je suis une mauvaise élève : rien, d'après les échographies, la cœlioscopie, l'hystérographie, l'hystéroscopie, et les multiples investigations sanguines ne laissent prévoir que nous ne pouvons avoir d'enfants.

Et pourtant, c'est comme ça, on n'y arrive pas. 


 Toujours est-il que ce jour-là (celui des intestins), après avoir tenté les inséminations, les FIV, les IXSI sans succès - et testé les humiliations répétées et ultimes avec succès -, j'éprouve une sensation de victoire d'avoir (minusculement) tenu tête au Tout-puissant. Mon corps m'appartient, je le connais, je n'ai pas la technique, mais j'ai le ressenti, et l'instinct.

Alors, en lui laissant le énième chèque de quatre-vingt euros remboursé des clopinettes, je décide de ne pas me diriger vers le laboratoire ni la salle d'échographie.
Je laisse tomber.
Et sans rien dire à personne, je remonte dans ma voiture et fais le trajet clinique-maison en pleurs, en colère, humiliée, rabaissée, dévastée, vide. 

Les jours qui suivent sont difficiles à vivre. Sans compter la secrétaire du Tout-puissant qui me laisse des messages sur mon répondeur.

Que se passe-t-il? Nous n'avons plus de vos nouvelles. Et le suivi ? On s'inquiète, à la clinique !
Entendez : on s'inquiète surtout du manque à gagner que votre mutinerie inflige au pécule du Tout-puissant et éventuellement à sa réputation !

Par politesse, je rappelle et demande à lui parler.
Bien sûr, il n'est pas disponible. J'explique donc à sa secrétaire que j'arrête le protocole, et qu'elle veuille bien l'informer que j'en ai terminé.

Mais Mâdâââme, le docteur va être déçu !
Pas autant que moi.
Puis, pour bien enfoncer le clou, elle me fait sentir que, bien évidemment, si ça a raté, c'est de notre faute.
Mais bien évidemment, Madame, lui réponds-je, il ne saurait en être autrement.
Spécialistes de la psychologie, aussi, dans cette clinique.

Je raccroche le téléphone et fixe l'appareil, hagarde : je viens de griller mes dernières cartouches. Je n'aurai jamais d'enfant.




Je ferme les yeux. Mais alors que je pense m'effondrer, une idée s'impose à moi de façon claire et simple. Presque joyeuse : et l'adoption?
L'équipe du Tout-Puissant l'avait déjà évoqué dans l'extraordinaire clinique, lors de la conférence d’accueil. Mais à ce moment, cela représentait pour moi une perspective d'échec de la voie naturelle dont je ne voulais même pas entendre parler.

Cet échec, je viens de le vivre, je l'ai pris en pleine poire, j'en souffre jour et nuit.
Et pourtant, là, tout de suite, je suis prête à passer à autre chose.

Mais comment faire, où me renseigner ? Au hasard, comme ça, je prends l'annuaire, les pages jaunes, et sans y croire je cherche le mot adoption.
Bingo ! Il y a une rubrique adoption dans les pages jaunes ! Ça renvoie au Conseil Général, et plus précisément au service adoption de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales.

J'attrape mon téléphone et appelle.
Et là commence la plus belle aventure de ma vie.

La plus dingue, aussi !

 

***

Commentaires

  1. Quelle épreuve ça a du être, ce parcours pma. Je ne sais pas si j'aurais eu autant de force et si j'aurais pu rebondir aussi bien. Ton blog est super ! J'ai hâte d'en lire plus 😘

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  2. Un peu la même histoire que toi. J’aimerais avoir mis tout ça aussi sur papier ou sur blog :) merci de le faire. Nos parcours et les détails humiliants et dévastateurs sont méconnus...

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