6 - L'agrément

L'agrément...

Un mot familier des adoptants, et qui ne dit rien de rien aux autres. Un peu comme la PMA.

Des termes d'initiés.

Entreprendre un agrément, première phase administrative de l'adoption, c'est un peu comme vouloir escalader une montagne : vu d'en bas, ça paraît insurmontable. Pendant qu'on grimpe, on vit au jour le jour, étape par étape, et quand on est en haut, on s'admire d'avoir fait tout ça, on est content, mais on est pas mal essoufflé, aussi.
Sauf qu'après l'escalade, on n'a plus qu'à redescendre ; alors que pour l'adoption, ce n'est jamais que la première marche d'une suite de procédures complexes.




Premier contact avec la DDASS : nous recevons une convocation pour une rencontre préalable concernant des généralités.
Au milieu des magnifiques jardins du Conseil Général à la végétation luxuriante, on fait entrer la trentaine de personnes présentes, futurs candidats à l’adoption, dans un préfabriqué grisâtre.

A la queue leu leu, les éventuels futurs parents inquiets se pressent en se dandinant vers cet antre inesthétique dont la porte brinquebale à chaque passage.
Julien et moi suivons le mouvement.




L’intérieur est aussi accueillant : assemblée de chaises en plastiques disparates, plancher gondolé, table de guingois, néons criards, odeur d’humidité et de poussière.
Je sais ce qu’il y a dans la tête de chacun : pour quelle raison nous accueille-t-on dans un lieu si vilain ? Un peu de paranoïa pourrait nous laisser croire que l’on nous considère comme des (futurs) parents au rabais.
Mais non ! Soyons positifs. C’est moche, déprimant et on est mal assis, mais il est important de garder le cap (et le moral, aussi).

Nous posons le bout de nos fesses sur les chaises de cantine. Bien droits, bien sages.


Personne ne parle, on se regarde. On a même un peu la trouille. Je jette un œil sur mes voisins, ils sont aussi pâlots que moi (Madame Fromage-blanc).

Une femme dont je ne comprends ni le nom ni la fonction tant elle parle vite nous accueille aussi vite fait : On va vous montrer un film, sur le ton de « et après ça, si vous avez encore envie, on pourra en reparler... »

Qu'est-ce que je fais là ? C'est surréaliste.

Pas le temps de demander à Julien ses impressions (je constate que sa jambe tremble, marque de fabrication du bonhomme en état de stress), que les néons s'éteignent.

La séquence du téléspectateur débute par un film qui me rappelle les super 8 déprimants des années soixante-dix que nous montraient nos professeurs d'allemand quand j'étais au collège.



Avec un scénario aux petits oignons : Nous assistons, hébétés, à l'étalage de quelques cas de figures d'adoptions réussies ou ratées. Ça se veut pédagogique. Pour bien nous montrer à quoi nous attendre. Comme s'il y avait une généralité à en tirer, une règle ou une leçon à retenir. Les ratées, surtout, doivent avoir pour objectif de décourager les couples insuffisamment motivés, parce que c'est du violent.
Des parents dépassés, des enfants agressifs, des situations inextricables, tout le monde en grande souffrance… Bienvenue en enfer !
Et si le film était de qualité, au moins… Mais l’ambiance sépia cramé-glauque en rajoute une couche.

Quand la lumière revient, le silence est oppressant. J'observe autour de moi les regards consternés des (peut-être) futurs parents, à qui on vient d'asséner des vérités stéréotypées bien lourdingues.

En fait, tout concorde à nous montrer une image de l'adoption sordide et misérable : l'ambiance, le préfabriqué, les néons, les chaises pliantes, le super 8... puis le discours.

La femme dont je n’ai pas compris le nom commente le film. Comme si nous ne l'avions pas suffisamment compris. En ce qui me concerne, les images me suffisent. Mais bon, renfonçons un peu le clou pour rire.
― C’est important de savoir à quoi vous attendre !
Montre-t-on des images de crashs aériens aux gens qui vont prendre l’avion ? (c’est important de savoir à quoi vous attendre !) ?

― Vous avez des questions ?
(Oui : la SPA la plus proche, s’il vous plaît…)
Puis, comme il n’y a aucun question (on est tous hébétés), elle explique les démarches par le menu, annonçant un discours optimiste (heureusement) mais réaliste (on ne peut plus).

A commencer par les incontournables difficultés et les délais impossibles.

D’abord, monter le pré-dossier. C'est à dire que pour avoir le droit de monter un dossier, il faut faire un pré-dossier.



Il faut y mettre une lettre de motivation plus deux ou trois papiers administratifs.

Puis, attendre un délai minimum d'un mois avant d'envoyer notre pré-dossier, afin de garder un temps de réflexion au cas où l'on veuille changer d'avis.

Ils acceptent notre pré-dossier. Ou pas.

Puis, attendre un nouveau délai d'un mois (ou deux) pour leur laisser le temps de traiter toutes les demandes.

Là, nous recevons un accusé réception indiquant si nous sommes admis (ou non), assorti du dossier à compléter.

A ce moment, nous pouvons monter LE dossier puisque, petit veinard que nous sommes, nous avons réussi à parvenir jusque-là. Commence alors la course aux papiers : acte de naissance, acte de mariage, casier judiciaire (à refaire, ceux du pré-dossier étant périmés puisque seulement valables trois mois). Bilan médical, bilan psychiatrique, relevés bancaires, questionnaire ultra-détaillé sur notre métier, notre famille, notre emploi du temps, nos goûts, nos activités...
Et une nouvelle lettre de motivation.
Si.
A mesure qu’elle parle, je vois les (éventuels) futurs parents se ratatiner sous le poids des tâches et des délais. Ainsi que sous la pile de documents qu’on nous remet : l
a dame insiste lourdement : tous les papiers sont à lire très attentivement.

Je n'avais pas l'intention d'en faire du papier toilette.


Nous reprenons la voiture. Abasourdis et déprimés. Ni Julien ni moi n'avons envie de parler. On est loin de l'image des jeunes couples sereins en attente d'un heureux événement. On est même loin de l'idée d'enfant tout court.

A peine rentrés à la maison, pour ne pas perdre de temps, nous épluchons toutes les informations.

La plupart sont assommantes.

Les autres sont sibyllines : jamais entendu parler de MAI, d'OAA, de Convention de La Haye, et de tous les termes autour de l'adoption comme apparentement, exequatur, consentement éclairé, adoption simple et plénière, et j'en passe...

Mais puisqu'il faut se lancer, je me mets à la lettre de motivation.

La lettre de motivation... La lettre de motivation...

Vous écririez quoi, vous, si on vous demandait pourquoi vous voulez un enfant ?

 

Madame, Monsieur,

Nous sommes super motivés pour avoir un enfant mais à part vous dire qu'on en a envie comme beaucoup sur cette planète depuis la nuit des temps, on ne sait pas trop quoi vous dire d'autre.

 

Ça fait pas très sérieux, me répond Julien quand je lui lis ma lettre.

Alors, finalement, j'écris un texte pontifiant, où nous expliquons dans un style emphatique, avec des tournures ampoulées et des mots dignes et responsables les raisons profondes de notre désir d'enfant et l'espoir de fonder une famille.


Ce qui revient au même que ma première idée.

Commentaires

  1. Je crois que c'est partout pareil toute cette phase ! Bon, chez nous, ni pré-fabriqué ni film d'horreur, mais un diaporama avec des chiffres, des chiffres, des chiffres... on a cru qu'ils voulaient nous faire adopter une calculatrice !

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  2. Tu as visé juste " on est loin de l'enfant tt court ". Exactement et plus on se rapproche de, plus on a l'impression soit de stagner, soit de reculer d'un pas. Marche après marche, mais de Hautes marches. ......
    Je me rappellerai toujours cette 1ère réunion au Conseil Général. Une personne posait une question sur l'âge en moyenne des enfants adoptés. Et la " gentille " personne de la DDASS à l'époque, de répondre qu'un enfant en bas âge allait de qq mois à 5 ans .... La femme qui avait posé la question a dit aussitôt " ouf ! C'est tt petit qd même ! " ou qq chose du genre. Mon mari et moi on s'est regardés, incrédules. Évidemment qu'un enfant de 5 ans, c'est un gd et nous nous voulions un petit. Le plus jeune possible ! Après, nous avons su que nous pouvions mettre une préférence pour l'âge et que non, un enfant de 5 ans n'est plus un bébé !

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    1. Oui, nous avions eu le discours sur l'âge de l'enfant, aussi... Qu'il y avait plus d'enfants "âgés" à adopter ! Mais s'ils ne faisaient pas traîner autant les procédures pour des prétextes à la con, les enfants ne vieilliraient pas bêtement dans des orphelinats alors que des parents (préparés) les attendent.

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